• Le grand écart

    Tout le monde sait ce qu’est cette figure de danse : on saute en l’air et on atterri au sol avec une jambe de chaque côté du corps. Ouah !, crie le public, quelle habilité !

    Puis le danseur se remet debout sur ses deux jambes qui, ô miracle !, sont au même endroit qu’au début. Ce n’était qu’une « figure » une « posture » et le très plastique danseur-charmeur, pas du tout écartelé malgré les apparences, redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être.

    En politique cela existe aussi, et la figure de danse la plus aboutie dans ce cas s’exécute moyennant non pas l’apprentissage du French Cancan mais la méthode dite de « triangulation » que Tony Blair et ses spins doctors n’ont pas inventé, mais ont porté au pinacle moderne.

    C’est quoi, ce truc ? C’est l’antithèse de la « bonne foi citoyenne ». Un citoyen votant selon ses convictions est une sorte d’individu à l’ancienne, presque accroché à l’âge des cavernes, qui défend une idée, une position parce qu’elle lui paraît juste, meilleure que d’autres. On appelle cela parfois de l’idéologie, parfois du dogmatisme et c’est vrai pour les plus engoncés d’entre eux dans un corpus d’idées non révisables, quelque peu fossilisées. Ils existent un peu partout dans l’éventail politique, bien sûr, mais ils ne semblent pas être la majorité. La plupart des citoyens votants défendent sincèrement leurs idées parce qu’elles leur paraissent bonnes.

    A l’autre bout de cette catégorie, sautant sur ceux qui votent en considérant leur seul intérêt (voyez dans le Canard Enchainé de cette semaine l’encadre en 2è page : Depardieu, le grand ami du Président qui illustre parfaitement le raisonnement politique de cette large frange de « clients ») il y a les pros sans état d’âme, les rois de la manipulocratie, qui feront semblant de défendre une position, qu’ils en adhèrent ou pas, simplement parce qu’elle peut leur apporter des voix qu’autrement ils n’auraient jamais.

    Un exemple majeur est celui de Nicolas Sarkozy en 2007 citant Jaurès, histoire d’attirer à lui quelque « tièdes de gauche » peu informés sur celui qui parlait

    Un autre, plus actuel, choisi parmi les nombreux leurres du discours de Villepinte dimanche dernier est celui de la taxation des expatriés.

    Nicolas Sarkozy ne l’a pas inventé, beaucoup à gauche défendent cette idée depuis longtemps et un impôt inspiré par cette philosophie existe, par exemple, aux Etats Unis. Alors ? Juste deux remarques : Cela cadre mal avec ceux que le Président-Candidat prétend défendre -hors une extrême droite à attraper dans sa nase- et de plus cet « impôt » est d’une extraordinaire difficulté à mettre en place ; il ne pourrait l’être en aucun cas à court terme et les spécialistes parlent même d’une décennie ou plus pour le faire.

    Deux formes, donc de « triangulation », de grand écart :faire semblant d’aller dans le terrain de chasse de l’adversaire ou lancer des idées qui permettent d’attirer quelques distraits qui se laisseront allécher par l’odeur d’un plat qu’il n’ont pratiquement aucune chance de goûter.

    Dit comme ça, ça paraît gros et pourtant ça marche. Voici deux adresses pour mieux connaître cette martingale : une approche basée sur la campagne de 2007 : lire ici  Et, plus élaboré, mais plus complexe, une approche scientifique : lire ici

    Que peut-on faire, demain, contre cette manière de « manipuler l’opinion » ? Un certain nombre de choses aideraient à corriger l’impact de ces pratiques et à les limiter. En vrac :

    Par exemple, défendre la transparence la plus large possible, première condition pour que les citoyens soient bien informés. On pourrait commencer par lever (et même interdire constitutionnellement pour l’avenir) l’usage du « secret défense » aux seules fins de limiter la diffusion d’informations contrariant des groupes de pouvoir bien établis. On pourrait commencer par tout ce qui concerne l’énergie nucléaire sans mettre en cause véritablement la défense nationale…

    Par exemple on pourrait rendre publics les détails des considérations qui ont mené à lutter contre la crise en injectant des sommes gigantesques d’argent public dans le secteur bancaire (et d’autres) et des contreparties exigées ou non exigées…

    Par exemple, on pourrait interdire l’enterrement si fréquent de rapports et études sur toute sorte de sujets remis aux administration et mis sous le boisseau dès qu’ils contrarient l’opinion d’un ministre, quitte à rappeler au ministre qu’il est là pour servir le pays et n’est en aucune manière, pendant le temps de son mandat, « propriétaire » de son administration…

    Par exemple, on pourrait exiger que toute loi votée donne lieu dans un délai raisonnablement court à des décrets d’application ou, en cas d’impossibilité réelle, l’obligation pour le gouvernement en place de présenter au parlement, au terme du délai concerné un projet rectificatif…

    Par exemple, on pourrait aussi revoir les « liaisons dangereuses » entre la presse et d’autres secteurs techniques et économiques sans lien aucun avec l’information, que ce soit dans la presse écrite ou dans les autres médias…

    La liste est longue, mais rien ne remplacera la volonté des citoyens de s’approprier de leur propre destin, d’être partie prenante aux décisions qui les concernent et tout d’abord, de disposer d’une information complète et objective.

    De l’Utopie ? Du rêve d’une véritable démocratie citoyenne où chaque membre de la Nation puisse faire réellement entendre son opinion sans que celle-ci soit « orientée » par une présentation « aménagée » ou partielle ? Peut-être.

    Pourtant, pour le plus grand nombre de « simples citoyens » voilà des éléments de programme pour la suite, car la vie ne s’arrêtera pas au 6 mai, bien au contraire !

     


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